Les mots « coach » et « coaching » me parlaient à peine. Pourtant le métier se développe, attire et s’académise.

Les contours de cette activité ne semblent pas figés, ses dessins variant à loisir selon ce qu’en espère le bénéficiaire : « je cherche un coach » suggère le recours aux offices d’un tiers couvrant un besoin avéré mais non formalisé, sans quête systématique d’une solution disponible sur le marché des savoirs, et ne laisse pas forcément entendre que l’on ne va pas bien. En revanche, n’est-ce pas revendiquer l’élargissement de soi par le juste accomplissement d’un saut qualitatif ?

Le prestataire éprouve parfois une gêne analogue quand il déclare entre la poire et le fromage : « je suis coach ». Pour rompre un mutisme poli mais dubitatif, celle, celui se sentant interpellé balance entre poser la question bateau « en quoi ? » par pure courtoisie, au mieux aimable bienveillance, ou se raidir dans une ostensible indifférence, sinon une froide hostilité. N’est-ce pas compréhensible, le sec usage du vocable ne dévoilant que de maigres indices sur l’offre de service ?

« Coach » est un anglicisme lexical, un nom commun prétendument universel dont aucune traduction ne serait parvenue à défier la langue d’origine pour en épuiser la richesse. L’emploi d’équivalents français est cependant recommandé – entraîneur, moniteur, animateur, mentor, tuteur, précepteur, répétiteur et éducateur – dans des secteurs voués à l’édification d’autrui.

Il acquiert de la consistance en mûrissant « sur le terrain » et renvoie aux utilisations suivantes :

« Le coaching implique par essence des accompagnements sur mesure. Ils ont pour intention de hisser le niveau de compétence et de performance d’un individu, groupe ou structure à la faveur de l’accroissement et le renouvellement de connaissances, l’optimisation de processus et la révision de méthodes de management, d’organisation et de contrôle » .

Et :

« Le coaching inclut en principe une relation ponctuelle et délimitée. Le client doit en obtenir un avantage perceptible et tangible, en corrélation avec son consentement, ses desseins, ses bonnes résolutions, une injonction diffuse d’avancer en libérant le meilleur de lui-même et la faculté de se perfectionner dans les sphères personnelle et professionnelle » .

« Coach ou Formateur » ? L’un ne doit pas ignorer l’autre, ce rapprochement les enrichissant réciproquement.

Le formateur se signale d’emblée comme un pédagogue, de taille à transmettre beaucoup, excepté, autant que possible, des idées reçues, des alternatives réductrices, des obsessions dogmatiques ou autres entêtements idéologiques rapaces et mortifères, ce qui ne pactise jamais avec le réel, sature l’espace, muselle une opinion qui dérange ou affecte des lieux de réclusion aux oppositions, voire pire. Enclin à « passer partout » et à la marge, il se situe à l’écart de modèles tout en respectant une démarche rationnelle. Du formateur dépend la sélection avisée, vaste et pertinente de ressources et séquences didactiques. Sa légitimité provient de ses diplômes, de son expertise et de ses années de harnais. Persuadé que « la discipline est mère du succès », il est équitable, quelquefois indulgent, toujours patient.

Quant au coach, l’empathie, la vitalité et l’autorité lui sont attribuées d’office. On soupçonne aisément qu’il s’est tenu face à des publics divers, sous le feu de conjonctures délicates ou d’événements inattendus, et que, dans l’instant, d’instinct, « il sait être tout entier la somme de ce qu’il a vécu ». Se dépasser ne requiert pas à ses yeux de s’acquitter quotidiennement d’une prouesse et de danser sur les cimes. Corriger, retrancher, vérifier ne signifient ni juger, ni amputer, ni différer. « La vraie morale se moque de la morale. » Idéaliste sceptique à l’affût d’un je-ne-sais-quoi, d’un étonnement peut-être, un tantinet dadaïste, il traque « l’opportunité dans chaque problème ». C’est un artisan dont la vision et l’approche procèdent d’une « lente modestie ».

Dans un monde qui « n’est pas une nurserie », en prélevant dans ces définitions et ces portraits de quoi se lancer dans une création personnelle, être à la fois coach et formateur, c’est vouloir donner l’envie :

  • de découvrir autre que soi-même pour augmenter sa réalité, « Contre l’illusion d’optique, le mirage, l’hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble de l’audition… le rempart le plus sûr, c’est notre frère, notre voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu’un, grands dieux, quelqu’un ! », de s’intéresser aux autres « tels qu’ils sont et dans la situation où ils sont », et de faire surgir avec eux des espaces de tolérance, « seul remède à la discorde », ouverts à « la politesse de l’esprit » et à la modération ;
  • de créer et « vivre deux fois » en éloignant la reconnaissance de ses impératifs, d’accepter la complexité, l’incertitude ou l’insolite, de s’extraire de son milieu pour modifier son point de vue, de chambouler ses certitudes, d’évider les apparences, de déjouer les biais cognitifs, de désosser l’information immédiate cueillie d’une « petite poucette », de bannir l’amertume en considérant un revers comme une chance, de persévérer, « secret de tous les triomphes », et de glisser dans son existence de la fantaisie et de l’audace ;
  • de penser par soi-même, « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! », de penser sans prêt-à-penser, de penser contre soi-même, « qui se contente de sa pensée ne pense plus à rien », de penser à contre-courant sans errer à contresens, de ne pas penser « comme il faudrait bien penser », de penser « en navette », entre sagesse, humilité et lucidité, entre passion, émotion et raison, entre crédulité et incrédulité, et de penser ce qu’on dit, « ses pensées », avec discernement, « comme on se bat », pour agir.

Pour décider du sens qu’on allait donner à sa vie, forcer sa chance et ne rien céder au fatalisme.
« L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait » Comment devenir maître de soi, se réaliser, être heureux.
Vers le souci de soi et le souci de l’autre. « Mettre les idées en concurrence et la vérité en partage, ce qui est plus exigeant que la confortable posture de la radicalité n’engageant en rien et coupant court au bénéfice des autres. » Comment ne plus être tributaire d’attaches culturelles, sémantiques ou numériques.

Pierre Merien